La Rock-industrie et moi
"Ce texte a été écrit et lu par Dick Annegarn à l'occasion d'une conférence de presse sous l'Olympia en mai 19783
Aux temps
de la préhistoire n'existaient ni disque, ni Radio, ni Hall de spectacle.
Pendant quelques dizaines de siécles, la musique n'aura pas de support
vinylique ou autre. Jusqu'à Charles CROS dont on vient de célébrer
le centcinquantagénaire. Mais ce manque de témoins sonores ne
veut pas dire qu'hommes et femmes ne chantaient pas. Bien au contraire. L'Absence
de hit-parade, de sondages et autres faux-arbitres faisait que la musique appartenaient
à ceux qui la faisaient vivre sans tirer d'autre intérêt
que de la jouer ou d'en jouir. Souvent à l'occasion de rites tels que
les repas, les noces, les mises à mort, les enterrements etc..., et sur
les lieux de travail. La musique se pratiquait néanmoins occasionnellement
et collectivement. N'existaient ni l'image, ni le culte de l'artiste. Pensez
à Assurancetourix. Et pensez aussi à Dick Annegarn, musicien adolescent,
inapprécié de son pére, derriére son journal, lui
demandant s'il ne voulait pas aller répéter dans sa chambre. Il
en sortait.
Les dieux et les idoles ont toujours existé. Ceux-ci étaient cependant
fictifs, personnages de rêve et de mythes : dipe, Zeus, Dionysos
etc.
Si les colonialistes Grecs et Romains n'avaient pas autant dominé l'histoire
des Barbares, nous aurions mieux connu notre réelle histoire culturelle.
Il est peu probable pourtant que les Barbares, comme les appellent les humanistes,
n'avaient pas chanté. Ils n'avaient sans doute ni les techniques, ni
le temps ou bien ils n'éprouvaient pas le besoin de fixer leurs textes
et leurs airs. Les moines maîtrisaient l'écriture. Oui. Pour des
textes catholiques. Ce n'est que vers le IXéme siécle que l'on
trouve des écrits rapportant des faits, où des humains étaient
réellement impliqués : guerres, impôts, amourettes, etc...
Ces chansons de gestes évoluaient à travers les années
et les régions. Un journal itinérant en sorte. La chanson de Roland
peut-être considérée comme une chronique de l'époque.
" Ça plane pour moi " en serait-ce une de la nôtre ?
Au fur et à mesure que le moyen âge prend de l'âge, le troubadour
se compromet avec la cour. D'un seigneur, d'un Roi, d'un ministre. Le troubadour
devient ministrier.
Et c'est le début d'un compromis historique entre artiste et pouvoir.
Un peu plus tard le pouvoir ecclésiastique interdit à J.S. Bach
d'introduire des compositions des harmonies pouvant troubler moines et croyants.
Au fur et à mesure de ces temps modernes, la promotion de certaines formes
musicales devient moyen de contrôle social. Les moyens de communication,
média prennent de plus en plus l'allure d'un pouvoir abstrait qu'aucune
puissance ne laisse plus librement s'exercer.
Il y a pourtant des mouvements d'expression qu'aucuns ne peuvent détourner.
Je pense à la musique noire. Noir. Aussi noires que les impasses. La
nuit. Les worksongs, hollers, blues, rags, old-time, middle, moderne et free
jazz sont les plus représentatifs de l'expression humaine face à
la civilisation américaine de ce siécle.
Le rock et le pop en sont des pâles ersatz. Nescafé. Leurs imageries
viennent du cinéma américain blanc. En couverture de ce catalogue
des aliénations, vous trouverez Marilyn Monroe dont la lévre supérieure
a été refaite pour que son sourire paye plus ; Elvis Presley,
le bon brut qui en arrive vite à des sentiments plus doux ; Jimmy Hendrix
, noir psychédélique ; Mike Brant, beau pleurnichard sympathique.
Tous ces masques sont morts d'overdose. Y en a qui meure de trop de pouvoir.
Le pouvoir est une drogue. La drogue est un pouvoir. Polariser les individus
avec des images, des éclairages et de la musique est une drogue. Les
jeunes de la rock-industrie la souhaitent vivement à leurs semblables.
Mégalomanie dangereuse. Comment s'appelle encore ce chanteur nouvelle
vague qui, trop las d'être poéte maudit, déclarait , avant
de commencer une carriére de Rock-Star, qu'il voulait que les kids viennent
l'acclamer dans les stades ? il n'a pas ajouté qu'il voyait bien quelques
jeunes dans ce public former son nom.
Le paralléle aurait été parfait.
Je suis né à La Haye en 1952. Aux Pays-Bas.
Pays du nord de la Belgique. Papa est interpréte auprés de l'OTAN.
Maman est fille d'ouvrier, d'un des premiers ouvriers de M. Fritz Philips. Sa
profession : épouse, mére de famille. Quatre enfants. Dont je
suis le dernier.
" Le plus petit mais la plus grosse gueule ", disait maman. Elle ne dit pas
si je gueulait par misére ou par colére. J'ai en tout cas passé
mes six premiéres années dans cette cellule familiale, dans divers
quartiers de La Haye. Violons.
En 57, papa commence à découcher. Il sollicite une place dans
cette grande aventure charlesmagnesque qu'est la Communauté Économique
Européenne. Et il l'aura.
Hourra ! ! ! En 58, toute la famille tire sur Bruxelles.
Nous y habitons un 3-piéces à 6. J'ai 6 ans. Et commence à
fréquenter la seule école que j'ai finalement connue : l'École
Européenne. L'école réunissait les 6 nationalités
de l'Europe de l'époque. Les éléves étaient des
enfants de fonctionnaires au Marché Commun. Du portier au haut -cadre.
Ce brassage de classes et de nationalités je le trouvais dans une meute.
Et puis une troupe européenne. Oui, j'ai été louveteau.
Et aprés. Scout. Un insigne : " joyeux bâtisseur de l'Europe "
. Allez, allez, allez mon troupeau !
En attendant d'être construits, les terrains vagues aux alentours de Bruxelles
représentaient pour nous, petits belges de toutes sortes, des terrains
de jeux formidables. Nous y creusions des souterrains, y construisions des cabanes
( à étages s'il vous plaît ) et y exercions nos premiéres
expériences pyromanes.
Nos parents et une paroisse européenne nous prennent bientôt en
main. Vers 15 ans, j'ai mon premier contact avec des français chez eux.
C'était dans le Massif Central. Notre foyer catholique européen
venait d'acquérir un village en Lozére. Un village abandonné.
Mais pas pour longtemps. Le village est devenu un chantier total pendant quelques
années. J'y travaillais pendant un mois par an, pendant les quelques
années de mon adolescence. Mes derniéres années d'école,
je les ai passées au café de l'école à jouer au
flipper, billard, poker, billard-électrique, 4 21 et de la guitare. Cabu
a dû passer par là à cette époque. Mais il n'a pas
pu nous voir les week-ends. Parce que nous passions beaucoup nos fins de semaines
dans quelque demeure de quelque riche parent en voyage d'affaire. Papa pas tellement.
Il vieillissait.
C'est là que, autour de tourne-disque de luxe, j'ai eu un premier contact
avec la rock-industrie et les joints. C'était en 68. En mai 68 j'était
à Berlin. En voyage scolaire. J'y ai vu le mur des deux côtés.
J'ai finalement eu mon bac en 71. Un bac européen. Tous étaient
heureux. Moi pas. J'étais inquiet. Ça ne faisait que commencer.
Cet été-là j'ai passé deux mois chez les ermites
en Lozére, le village européen m'ayant éjecté. Aprés
avoir fait un peu de route dans le sud de la France, j'ai chanté quelques
jours sur le cour Mirabeau à Aix en Provence, pour payer mon voyage de
retour. Sans guitare. Je faisais la route sans guitare.
Aprés ces vacances je suis rentré à Bruxelles, avec du
henné plein les cheveux. Voyant mes cheveux rouge-vifs, ma mére
me refuse d'entrée la maison. Drame. Je me fais raser le crâne.
Ainsi auto baptisé, je m'inscris à la faculté d'agronomie
à Louvain. J'y ai trouvé une piaule. Dans un monastére.
J'y fais de la macrobiotique sur butagaz et une carriére de trois mois
dans l'agronomie. Agronomie n'est pas agriculture. Agriculture n'est pas agronomie.
Je quitte le monastére. Avec des économies de quelques mois de
service chez Philips S.A. (eh oui ), je loue une maison en vue d'y fonder une
communauté. Détresse. Au grand dîner d'inauguration, je
suis seul. Les éventuels communards sont en vacances. Avec leurs parents.
Aprés cette déception, je tire sur Paris. Un imprimé d'un
magazine de musique nous est parvenu à Bruxelles : folksong et picking.
Ayant pratiqué du folksong américain, du Dylan et des arpéges
depuis quelques années, je croyais à l'avénement d'une
nouvelle vague d'expression. Authentique. Je connaissais les précédents
du surréalisme, des existentialistes de Saint-Germain-des-Prés,
de mai 68, d'Hallyday, de Dutronc et d'Antoine. Et bien que je n'avais pas encore
écrit en français, je passe quelques jours à Paris en vue
d'éventuel autre séjour à Paris, en vue d'éventuel,
,
sait-on jamais.
C'est en 1972 que les deux histoires, celle du spectacle et la mienne se rejoignent.
Ça commence par un ultimatum. Si, aprés un mois, je n'ai pas encore
trouvé de quoi survivre par la musique, je reprends des études
d'ingénieur agricole technicien, d'accord. Les tenants du magasin de
la rue Quincampois, qui diffusaient le papier parlant de picking et des cordes
que Marcel Dadi conseillait pour y parvenir, m'envoie courir les Hoot-Nannies
du Centre Américain, de la Vieille Herbe, du T.M.S. et d'autres endroits
sous Paris où se pratiquait cette forme de spectacle amateur. J'ai vite
fait de rencontrer Olivier Leflaive, principal assistant du principal promoteur
de cette autogestion à l'américaine, Lionel Rocheman. Olivier
Leflaive me propose de jouer dans ces Hooténannies, ( à 30 francs
en moyenne ), dans des restaurants, de continuer à jouer dans le métro,
et de faire une audition chez Mireille.
Pour mon audition chez Mireille, je chante et joue " Hesitation Blues " dans
un rythme infernal. De derriére une double vitre, j'entends que je suis
accepté. Mireille aimait bien les étrangers.
Mireille m'apprend à un peu mieux articuler et me fait passer un peu
plus tard dans son émission radio. " Eh ! Baissez-vous un peu, grand
hollandais. Vous avez une grosse voix. "
Je me suis fait la main sur des sujets faciles.
Les premiéres chansons que j'ai écrites en français sont
: " Le roi du métro ", " Bruxelles ", " Bébé éléphant
", " Mme l'institutrice ", et d'autres.
Avec quelques maquettes qu'Olivier Leflaive avait enregistrées dans son
grand magnétophone, nous avons fait du porte à porte. Y figureraient
des chansons anglaises et françaises que j'avais écrites. Philips
refuse, C.B.S. refuse, Barclay refuse. J'ai eu une proposition d'un des musiciens
des Variations, groupe néo-psychédélique. C'était
de chanter Fats Domino en français. Cette fois-ci, c'est moi qui refuse.
J'ai fini ce premier été dans le métier en faisant quelques
concerts pour quelques centaines de francs. Dans le nord de la France, et en
banlieue parisienne. Je passe un séjour dans un centre de loisirs hippy
à Roanne, l'Arc en Ciel, pour, à la fin de cette année
scolaire, retrouver l'ami de Bruxelles qui était au bout de sa premiére
année d'études agronomiques. C'est alors que je décide
de reprendre moi aussi des études d'ingénieur technicien. Je passerai
par Paris pour encaisser mes cachets ORTF et faire mes valises.
Sur mon chemin, je rencontre O. Leflaive. Celui-ci vient de faire connaissance
de Maxime Le Forestier, jeune barbu qui monte.
Leflaive me demande trois jours de répit, Chicago sur Seine. Le Forestier
sort de l'écurie de Jacques Bedos. Trois jours aprés, je me trouve
dans le bureau de ce même Jacques Bedos.
Je lui chante " Bruxelles, attends-moi, j'arrive " .
J'avais en effet un train pour Bruxelles à prendre le lendemain.
C'est la proposition claire et nette d'enregistrer un 33 tours et la confiance
que m'inspirait le parrainage de Monsieur Bedos qui m'ont fait signer un contrat
de cinq ans, quelques jours plus tard. Je ne soupçonnais pas les finesses
de ce contrat. Même aprés maintes lectures.
Déjà est-il que je venais de signer un contrat d'exclusivités
( qui ne justifie ni carte de travail, ni permis de séjour, ni sécurité
sociale ).
Ce contrat je le signe avec la société Polydor et le nom de Jacques
Bedos ne peut y figurer. Aussitôt j'ai vivement été conseillé
de signer un contrat avec les éditions Tutti, maison annexe du holding
Philips.D'ailleurs Polydor, Philips, Phonogram, les Studios des Dames et différentes
éditions sont couverts par le groupe Siemens. Ce groupe couvre aussi
des industries chimiques, des turbines hydro-électriques, des téléphones,
etc.
Quand j'ai enregistré mon premier 33 tours, j'ignorais beaucoup de choses
quant au métier.
Ce que je savais, c'est qu'il allait s'enregistrer en trois jours. Ce que j'ai
su, c'est qu'il a coûté 15 000 FF à la production. Ce que
je sais aujourd'hui, c'est que 60 000 reproductions sen sont vendues (1 franc
par disque pour le chanteur).
En préparation de ce premier disque, j'ai tenté d'organiser de
séances de travail avec Jean Musy, qui m'avait vivement été
conseillé. Aprés moult tentatives, celui-ci me répond qu'il
connaît son métier : arrangeur. Le premier disque sort en mars
74. Il ne porte pas de titre. Un numéro : 2393-081.
L'accueil radio est pourtant favorable. Une programmation assez intense se met
en place. Je fais 5.6.7. de Jacques Orévitch à Europe 1, R.T.L.,
Non-stop avec Philippe Bouvard et, Yves Mourousi me prend en direct sur France-Inter
pour un Américain. C'est le Discorama de Denise Glaser qui m'a fait beaucoup
de bien, finalement. Comme à quelques autres artistes. Cette femme avait
le chic de vous laisser intact.
Ce même mois, je fais un Olympia avant le show du soir d'Enrico Macias.
Un lundi de 18 h à 19 h. Un coup d'envoi. Olympia. Top à Le Forestier,
quelques émissions belges, et la province s'ouvre à moi. Auto,
Show, dodo. Cette même année, j'enregistre un deuxiéme 33
tours. En pleine sinusite et sous corticole.
Les amis artistes qui ont travaillé sur la pochette de ce disque et sur
l'affiche, ont encaissé 600 FF. Ceci en passant.
Cette même année aussi, Jacques Bedos quitte la maison Polydor
aprés quelques difficultés entre sa direction artistique et la
direction tout court. Aprés le départ de celui qui m'avait retenu
dans ce métier, je me retrouve avec un contrat que Polydor refuse évidemment
de me rendre. Je dois choisir parmi quelques jeunes directeurs artistiques qui
viennent d'arriver dans la maison.
Je négocie avec l'un deux.
Je lui accorde la direction, s'il me laisse l'artistique.
Accord conclu. Tacite.
Ce nouveau directeur artistique, dont je ne connais toujours pas le nom et bien
le pseudonyme, me conseille vivement de mettre une chanson titrée " Mireille
" sur le disque. Je céde. Et avant que l'album soit terminé, lui
et le service promotion de la maison font fabriquer un 45 tours-promotion. Pour
éviter au programmateur de faire un choix dans le 33 tours. " Mireille
" n'était, bien sûr, pas représentative de l'évolution
artistique qu'était la mienne. Des centaines d'heures de travail que
marquait cet album réduit à " zoumzoumzoumzoumzoum ". Á
partir de là, j'aurais pu devenir un chanteur qui fait 45 tours et puis
sen vont.
Le conflit avec Polydor S.A. devient inévitable. Aprés le pénible
constat que personne dans la maison ne pouvait défendre mes intérêts
de façon crédible. Je me lance avec une collaboratrice, Cobie
Ivens, dans la préparation du nouvel album.
Au printemps 1976 nous arrivons chez Polydor S.A. avec un budget détaillé.
Le montant est en dessous d'une somme déjà approuvée. En
principe. Parce ce que, voilà. Nous prévoyons d'enregistrer en
dehors d'un studio, lié à Polydor. Et avec des musiciens qui n'ont
pas la faveur de la corporation, ceux d'Albert Marcoeur. L'achat d'une petite
maison en Haute-Saône et un certificat médical rendent cet enregistrement
souhaitable en extérieur.
S'en arrive à des explications avec celui-ci. Des mots comme caprice,
fantaisie, alibi culturel, censure économique pleuvent. La maison perdrait
de l'argent sur moi. Des comptes. Des chiffres. En désespoir de cause,
une éventuelle production indépendante est annoncée, comme
une menace. Royalties artiste-maison : 1FF/37,50 FF, producteur indépendant
: 2,90 FF/37,50 FF. Celui-ci accepte le coût de l'enregistrement. Polydor
promotionnerait et distribuerait le disque. Je réfléchis et accepte.
Pour bénéficier d'une indépendance artistique. Les modalités
de ce nouveau contrat ont été négociées avec l'ancien
sous la main.
La collaboration s'avérait bien sûr difficile.
Le premier disque de cette production indépendante aura un nom : " ANTICYCLONE
". Le service de promotion est peu disponible. Moi aussi. Mais le chef du service
me dégote un déjeuner avec un programmateur de France-Inter. Celui-ci
s'occupe d'une boîte dénommée " le Nashville ", whisky 30
balles servi par négro. Des jeunes voulant tenter leur chance peuvent
venir y jouer. À l'il. Le programmateur m'invite à venir
inaugurer la boîte. Ça ne m'intéresse pas ! Je refuse.
Serait-ce un hasard que je ne passe plus sur les ondes de France-Inter depuis
lors ? L'ascenseur n'a pas été renvoyé ?
En septembre de cette année 76, je remonte à Paris avec Cobie
Ivens. L'envie de me recycler me reprend. Nous trouvons néanmoins de
nouvelles structures de travail. Écoute s'il Pleut (ESP) est déclaré
Société Civile d'Artistes Associés. Avec Cobie Ivens, comme
secrétaire artistique, je reprends courage, croyant avoir trouvé
une structure en dehors de la corporation qui puisse assurer l'organisation
dans ses modalités. Je m'étais associé avec Albert Marcoeur,
pour entre autre faire une tournée d'hiver.
ESP nous promet 40 concerts. Nous en faisons 13. La tournée a été
ignorée par toute la presse parisienne. Et pourtant. C'était bien.
Quel dommage!
Pour une tournée banlieue prévue en fin de printemps 76, j'avais
déjà commencé à préparer et annoncer la possibilité
pour des artisans amateurs de venir proposer et vendre une denrée. C'eût
été une sorte de souk, mobile. Autour de Paris. Pendant un mois.
Unité de temps, unité de lieu pour éviter des problémes
d'hébergement et de déplacement aux forains occasionnels. Ce souk
mobile n'a pas eu lieu. ESP a préféré s'engager à
vendre mon spectacle moins cher en province que celui avec Albert Marcoeur.
Ni tournée banlieue, ni souk mobile, ni tournée province.
Pour compenser ce préjudice et espérant négocier une espéce
d'exclusivité, ESP organise en fin de compte une tournée province.
Hiver 77. Deux semaines avant la tournée, celle-ci se négocie
en échange d'une future exclusivité chez ESP. Je refuse. Le travail
étant préparé, la tournée se fera quand même.
Coup de poker. Gagné. Je peux travailler.
Avec Cobie Ivens, nous avons organisé pour cette tournée la création
d'un journal écrit par les spectateurs. Journal itinérant. "Tâche
d'huile". Derriére un écran de télévision-maison,
nous lisons les textes recueillis dans les villes précédentes.
Malgré les trois communiqués que nous avons envoyés quelques
semaines d'avance à toute la presse, les spectateurs n'ont reçu
aucune information sur ce journal amateur. Ils n'ont, par conséquent,
pas pu préparer leurs témoignages à temps. "Tâche
d'huile" était une derniére tentative de fructifier le potentiel
énergétique que représente une multitude d'individus, pour
autre chose que le culte d'une personnalité.
Pendant cette tournée, j'ai fait l'analyse du rapport effort / intérêt
d'une éventuelle continuation de ces galéres. Voici ma conclusion.
Par rapport aux appareils de production, je suis isolé. Comme mon public,
d'ailleurs. Ce public a peu de vécu. D'autres artistes sont pris à
témoin d'autres désirs inassouvis. Eux et les artistes se sentent
obligés de se prendre pour une élite.
Les salles de spectacle sont des lieux de culte. Et ces spectacles servent à
désamorcer d'éventuelles révoltes. Si c'est ça le
rock : il est condamné à un perpétuel revival.
J'exécre ce marché d'images et de simulations. Je crains que ce
soit un marché d'avenir. Ayant vécu ces mécanismes, je
les dénoncerais tant que je pourrais.
Questions ?
Bénédictus Albertus Annegarn
Printemps 1978