Concert/ Au Cirque d'Hiver

Dick Annegarn : "Je me suis interdit de mentir"

DIFFICILE DE PARLER de son passé. Dick Annegarn est un loup. C'est aussi l'un des rares chanteurs à être capable de poser sa voix à la mesure de la poésie contenue dans ses textes. Il chante en donnant l'impression de surmonter une torture intérieure dont il nous livre aujourd'hui quelques mots.

Vous sentez-vous jeune ?

o Dick Annegarn. Moi, j'ai pris ma retraite à vingt-cinq ans. La jeunesse comme seule valeur, c'est incomplet. Le jeune branché et le vieux sage et ringard, c'est un cliché qui n'existe pas dans d'autres pays. Chez les Asiatiques, les Arabes, vieillir n'est pas une catastrophe comme ici. J'ai quarante-sept ans, trois vertébres de fêlées, de l'arthrose... Mais ce sont plus des accidents de quelqu'un qui se croyait indestructible. Je ne souffre pas encore de la vieillesse. Mais je souffre quand même... Comme les jeunes peuvent souffrir. On sent cette souffrance dans votre voix... Au début, la Voix, c'est une preuve de puissance. Et peu à peu, avec des exercices, grâce à une valeur mystique qu'on donne à la voix, on cherche un vertige. Je cherche à me rapprocher de mon âme et du reste de l'univers. Par exemple, les tremblements de terre en Turquie ont eu une influence sur ma voix... Je fais partie de ceux qui ne comprennent pas qu'on puisse se sentir heureux avec une télé à la maison. Nos sociétés étouffent les voix. En tant que chanteur, j'ai un rôle de réceptacle par rapport à des gens qui souffrent et cela m'influence forcément.

Faut-il être fou pour chanter ?

o D'une façon relativement organisée. Si j'avais été fou, j'aurais été un fou violent... Des gens ont peur de moi parce qu'avec ma voix je peux aussi être dur, comme les enfants qui disent ce qu'il ne faut pas. Je préfére un langage direct, prendre les gens comme ils sont... mais cela peut heurter. C'est sans doute pour cela que j'attire pas mal de flippés :je vais directement au probléme, ce qui n'est pas apprécié partout le monde. Je me suis interdit de mentir, et pour moi, omettre, c'est mentir. Crever l'abcés à mesure qu'il appara”t, c'est une façon de progresser. Il n'y a rien de pire que l'autocensure imposée par nos sociétés par rapport à l'expression de nos problémes de vie au quotidien. C'est une nécessité pour une société que de poser les bonnes questions au moment où elles se posent.

Quelle question voudriez-vous poser ?

o C'est: tu te fais frapper ou tu frappes? Je pense aux droits de l'homme qui s'arrêtent sur le trottoir. Des bondieuseries publiques qui n'empêchent pas les gens d'être odieux dans leur vie quotidienne avec leurs enfants ou leurs semblables. De quelles violences souffres-tu et fais-tu souffrir l'autre ? Où est la violence que vous dénoncez ? o D'un côté, il y a l'argent brassé par notre métier... De l'autre, je me dis qu'il n'y a rien de plus violent que d'écrire des chansons sans être écouté. Aprés mes premiers succés, j'ai connu pendant une dizaine d'années le retour à la case départ... Téléphoner à son éditeur et devoir épeler son nom, c'est violent !

Comment vous situez-vous socialement

o Je me sens respecté... Dans mon quartier, je ne frôle pas les murs. Je ne suis pas isolé. Alors que je peux devenir odieux dans des lieux soi-disant intellectuels. Avec les vieux hippies (des gens de ma génération), je deviens vraiment méchant. La "génération perdue" qui proposait une alternative et qui accepte le monde d'aujourd'hui me semble complétement en dehors de la réalité. Ce qui m'agace le plus, c'est que je suis proche d'eux. Moi aussi j'ai voulu des choses sans y parvenir.

Vous êtes poéte avant tout ?

o J'ai un métier mal défini. Mais comme un poéte, je suis capable de rire de choses tristes, de prendre de la distance. Je n'ai pas besoin de chercher la signification des mots pour entendre l'âme qui est présente derriére une voix. La voix est trés proche de l'âme. Ma voix est grave.

PROPOS RECUEILLIS PAR NICOLAS DELACOUR

à 20 HEURES . Jusqu'au 9 octobre Cirque d'Hiver, 110, rue Amelot (XIe), Tél. 0.803.020.040.. Places :140 F